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APRES L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE, L’AGRICULTURE YOGI

LA PENSÉE PEUT-ELLE INFLUENCER LA MATIERE, LES SOLS, LES SEMENCES ? UNE EXPÉRIENCE MENÉE EN INDE MONTRE LES EFFETS DE LA MÉDITATION SUR LES RENDEMENTS AGRICOLES.

Naissance d’un concept

L’histoire de l’agriculture yogi commence à Kolahpur, à 300 km au sud de Bombay, dans l’un des centres de raja yoga de l’université spirituelle Brahma Kumaris (ainsi appelée en Inde – voir encadré). Manisha s’occupe du jardin, elle parle aux plantes, probablement dans l’esprit de la communauté de Findhorn[1]. Elle dit régulièrement aux fermiers qui assistent aux cours de méditation de cultiver leurs champs en utilisant le pouvoir de Dieu. Car Manesha a la conviction que ce qu’elle fait dans son jardin, avec les fleurs, les fermiers pourraient aussi le faire dans leurs champs, avec leurs récoltes. Elle motive une amie, femme d’un des fermiers qui fréquentent le centre de méditation. Ce dernier n’est pas très enthousiaste. Mais l’épouse insiste et Bahasahib accepte de lui laisser une parcelle de terrain, la plus aride et rocailleuse. Quelques mois plus tard, au temps de la mousson, les jeunes pousses vont être attaquées par des insectes ; le fermier est prêt à les arroser d’insecticides, mais il en parle d’abord à Manesha qui lui demande d’attendre deux ou trois jours. Le soir même, elle se rend sur le champ avec un groupe de yogis : ils méditent à côté des plantes pendant une demi-heure, assis sur des bâches à cause de la boue (on est en pleine saison des pluies). Cette année-là, Bahasahib obtient le meilleur rendement sur cette même parcelle avec de la canne à sucre. S’il est impossible de rationnaliser l’effet d’une méditation, le fait est que les insectes n’attaquèrent pas les plants de canne à sucre, au grand étonnement des fermiers voisins et de Bahasahib. C’est ainsi qu’il devient le premier fermier indien à se lancer dans cette expérience sur toutes ses terres : l’Agriculture Yogi, Yogic Kheti[2].

 

Brahma Kumaris anime depuis plusieurs années des activités destinées au monde rural (70% de la population de l’Inde), pour éduquer les gens aux valeurs, éliminer leurs addictions, tabac et alcool, contraires à leur tradition. L’institution demande à Manesha, des fermiers et des ingénieurs agronomes qui pratiquent la méditation, de définir ensemble les principes de l’agriculture yogi. Une campagne régionale se développe dans plusieurs états de l’Inde pour inviter les paysans à tenter l’expérience : le Maharashtra où est née l’idée, le Gujarat où Brahma Kumaris est bien implantée, le Penjab et l’Haryana, plus au nord, les deux états surnommés le grenier du pays. L’objectif est de favoriser l’agriculture biologique, de libérer les paysans de leur dépendance aux pesticides, OGM et autres semences hybrides, en ajoutant la pratique de la méditation dirigée sur les semences, puis pendant toute la durée des travaux des champs.

 

Six ans plus tard, 7 000 fermiers indiens ont adopté cette pratique hors normes, profondément liée à leur civilisation. Elle fait l’objet d’un suivi scientifique sur 5 années dans deux universités d’agronomie du pays. Plusieurs Européens qui pratiquent la méditation se sont aussi lancés dans l’expérience de l’agriculture yogi (voir témoignage de Piero).

 

 

Les principes de l’agriculture yogi

  • Les graines sont déposées pendant une dizaine de jours dans la salle de méditation du centre de raja yoga

  • Des méditations quotidiennes en groupe sont organisées pour charger la pièce en énergie spirituelle.

  • Des visualisations des 7 couleurs de la lumière associées à 7 attributs spirituels chargent l’atmosphère et les semences : paix, unité, harmonie, fraternité, intégrité, transparence, détermination – il existe des variantes.

  • Les fermiers méditent pendant quelques minutes avant les semailles, une sorte d’offrande à la divinité en même temps qu’à la terre, pour harmoniser les énergies de la nature. Ils utilisent alors la couleur rouge, symbole de force, de responsabilité.

  • Tous les jeudis, ils se rendent sur le champ pour une méditation spéciale. Chacun des éléments de la nature est identifié à une couleur : le bleu pour l’éther, le ciel ; le jaune pour le feu ; l’orange pour l’eau ; le rouge pour la terre. Cette méditation renforce un élément de la matière qui manquerait d’énergie.

  • Ils dégagent une heure par jour pour envoyer des vibrations spirituelles vers leurs champs, plus particulièrement 15 mn à l’aurore et 15 mn au crépuscule.

  • En cas de maladies des cultures, ils méditent sur les plantes contaminées en visualisant la maladie en train de disparaître.

  • Des drapeaux symbolisant la pratique yogi sont placés à chaque coin des champs.

 

Le suivi par le département d’agronomie de l’école d’agriculture de Pantnagar (état d’Uttarkand)

 

Semences
Novembre 2009
Poids en grains récoltés (Quintaux/Acre, 4047m2) avril 2010
R1 R2 R3 Total Moyenne
Sans méditation, agriculture biologique 20.0
(18.0)
22.0
(20)
18.7
(17)
60.7 22.0
Avec méditation et seulement de l’irrigation (pas d’engrais naturels) 19.6
(17.8)
20.9
(19)
17.3
(15.7)
57.8 19.2

 

Les analyses comparatives sur différents fruits et légumes ont montré des différences notables dans la qualité des produits en faveur de l’agriculture yogi. Par exemple, la valeur énergétique de 100 grammes de tomates est passée de 19,5 Kcal à 27,47 Kcal. Les matières grasses sont descendues de 0,2 à 0,1%.[3] De telles mesures, insuffisantes pour tirer des conclusions générales, sont néanmoins très encourageantes.

 

Trois question à… Rajesh Dave, Ingénieur agronome, responsable régional du développement rural et de l’agriculture.

Rajesh Dave est membre de l’organisation Brahma Kumaris depuis une quinzaine d’années. Par sa formation d’ingénieur agronome et sa position dans la banque fédérale, il a participé au déploiement du concept d’agriculture yogi dans l’état du Gujarat où il était en poste avant d’être muté à Bombay.

 

Quand il pratique la méditation sur son champ, près de sa ville d’origine, il invoque les forces spirituelles vers la terre-mère, dit-il, il demande à son champ la permission de l’utiliser, avec des pensées très positives. Il ne se passe pas un seul jour sans qu’il invoque ces forces quand il médite à l’aurore, une pratique qu’il a enseignée aux paysans des villages.

 

Rajesh Dave est convaincu que l’agriculture yogi est adaptée à la mentalité occidentale : Dites-moi pourquoi tant d’Occidentaux aiment l’Inde ? C’est un pays pauvre, poussiéreux, sale, surpeuplé… Tout est difficile, inconfortable et pourtant, ils aiment l’Inde pour ses vibrations, l’amour qui emplit son atmosphère. Toutes les formes de vie sont touchés par les vibrations, même les microbes et les bactéries. Nous générons nos vibrations avec notre énergie spirituelle. La méditation nous apprend à générer une vibration pure, positive, pour harmoniser les êtres humains et la terre-mère.

 

Q – Que voulez-vous réaliser avec l’agriculture yogi ?

Rajesh – La vie du sol meurt à cause des traitements chimiques artificiels de l’industrie agricole. C’est la même chose qu’un intestin qui n’aurait plus de flore intestinale. Il faut des vibrations et une pratique agricole qui reconstituent les sols. L’agriculture yogi prend en compte ces aspects aux niveaux spirituels et physiques. L’agriculture yogi préserve aussi les ressources naturelles, car elle demande moins d’eau ; et surtout, elle est non-violente : vivre et laisser vivre. C’est le bon sens. Il ne s’agit pas d’exploiter la terre, mais de laisser à la génération suivante, nos enfants, un sol riche. Vous connaissez cette expression : dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es ! Cela fait partie de l’agriculture yogi. Mais il n’y a pas que les produits. Manger les produits de l’agriculture yogi, c’est préparer des individus non-violents, la paix est intérieure et dans les actes. Vous connaissez la loi du karma chère aux cultures orientales. Un individu en paix, une agriculture en paix, des aliments qui apportent la paix. C’est le moyen de s’épanouir spirituellement et physiquement.

 

Q – Pour vous, la méditation dépasse donc le simple rôle de l’agriculture…

Rajesh – Vous avez entendu parler du problème des paysans indiens qui se suicident quant ils sont ruinés ; ils ne peuvent plus payer leurs semences, les pesticides, leurs récoltes sont détruites. Les fermiers qui intègrent la méditation dans leur vie pratique et professionnelle acquièrent une grande force de caractère. Ils sont capables de trouver des solutions à leurs problèmes, ils sont unis, ils ne baissent jamais les bras. Un yogi a la foi dans la vie en lui et autour de lui. Grâce à l’agriculture yogi, les paysans n’ont plus besoin de s’endetter auprès des multinationales étrangères qui leur vendent des pesticides et des engrais industriels dévastateurs. Le coût de leur exploitation est moins important, ils ont plus de bénéfices car ils produisent les mêmes quantités, mais de meilleure qualité.

 

Encadré – Témoignage : l’expérience de Piero M. (Italie)

Installé dans la région de Gubbio (province de Pérouse), Piero a décidé de pratiquer l’agriculture yogi sur 200 hectares de terres cultivables. Son premier défi fut de passer de l’agriculture conventionnelle à l’agriculture biologique, et d’obtenir la certification de sa production. Car les fermiers travaillant sur ses terres, s’ils étaient professionnellement irréprochables, étaient peu enclins à changer leurs méthodes de travail. Aujourd’hui, 80% des terres de Piero sont certifiées ; les 20% restant le seront à la fin de l’année.

 

Q – Que cultivez-vous dans vos champs ?

Piero – J’ai cherché des graines anciennes non modifiées qui ne soient ni des OGM ni des hybrides. Nous faisons pousser de l’épeautre, du blé dur, plusieurs sortes de millet, de sarrasin, des poix chiches, des tournesols. Nos semences se cultivent différemment des hybrides. Les hybrides me font penser à des junkies, elles ont besoin de leur dose de pesticides sinon elles sont en manque. Avec les semences anciennes, la production un peu moins importante, mais les farines sont plus nourrissantes. Et elles ne déclenchent pas autant d’allergies pour les personnes qui ont un problème avec le gluten. J’ai entendu dire que le problème des allergies au gluten serait éventuellement lié aux semences modifiées.

 

Q – Quelle forme de labourage pratiquez-vous ?

Piero – Nous utilisons des disques d’acier qui retournent entre 10 et 20 cm de terre. De cette façon, nous ne touchons pas à la vie microscopique sous-terraine qui est dans la première couche du sol. Nous n’utilisons aucun désherbant, aucun pesticide, aucun engrais. Parfois, nous voyons pousser des plantes que nous n’avons pas semées.

 

Q – Méditez-vous sur les semences, comme ils le font en Inde ?

Piero – Oui, autant que possible. Du fait des volumes de semences que nous plantons, nous ne pouvons pas déposer tous les sacs dans une salle. Nous mettons des échantillons de graines et les gens qui vivent ici méditent tous les jours. Des personnes viennent aussi pour des séminaires de méditation et de silence dans la propriété, elles participent aux méditations collectives sur les semences et dans les champs. Je suis allé voir des fermiers yogis en Inde, j’aime beaucoup leur concept. Comme eux, j’ai mis des drapeaux aux quatre coins des champs et quand je fais un tour, je médite, sur place, cela me rappelle ma motivation.

 

Q – Quelle motivation ?

Piero – Je pratique le raja yoga. Je veux avoir un esprit clair, un corps en bonne santé, et cela demande de bons aliments. La nourriture et l’air que nous respirons sont nos aliments. C’est une mission de fournir aux gens des aliments de qualité. L’agriculture yogi, c’est comme rétablir une sorte d’âge d’or dans notre système agricole. On donne à la nature les meilleures conditions de s’exprimer. C’est une histoire d’amour avec ce métier, avec la nature. Ce sont des sentiments enrichissants pour l’un et l’autre. Tout cela fait partie de l’agriculture yogi. . On se connaît, on se découvre.

 

Q – Qu’avez-vous découvert, par exemple ?

Piero – Le printemps est une époque où les paysages changent tous les jours. Rien que ça, c’est une joie immense. On passe au même endroit, on remarque les changements par rapport à la veille. En septembre dernier, nous avions semé des graines et au printemps suivant, nous avons découvert qu’il y avait dans le champ une plante sauvage en plus grande quantité. De l’avoine. Nous appelons cela des plantes voisines, des amies. Nous n’étions pas déçu, au contraire. Nous avions envie de comprendre pourquoi la plante sauvage était plus forte que nos semences. Nous avons fait le choix de laisser sa liberté au sol, de ne pas lui imposer notre volonté. J’ai un bon fermier qui gère les terres, j’aime son état d’esprit. Il sait lire l’histoire des champs, il m’apprend. C’est l’agriculture yogi.

 

Q – Mais la production, la rentabilité, c’est important ?

Piero – Nos récoltes sont un peu moins importantes, c’est vrai, mais la qualité est supérieure. Une usine de pâte à qui je vends ma farine l’a comparée avec la farine « normale », biologique elle aussi. Ils m’ont dit, après analyse, que ma farine possédait une meilleure structure, plus de protéines, elle est plus résistante. Les semences sont les mêmes au départ, mais la méthode, le sol aussi, font la différence. En fait, il n’y a pas que la chimie des éléments. Les semences sont vivantes, la vie n’est pas faite que de chimie. Ici, nous sommes tout près d’Assise, qui est un haut lieu de la spiritualité mondiale. Je suis convaincu que cela a une influence sur notre récolte, sur le sol, en plus de nos méditations. Et si nous produisons 20% en moins, notre farine se vend 30 à 40% plus cher pour sa qualité. Récemment, le blé issu de semences hybrides se vendait 20 centimes d’euro sur le marché européen, tandis que le blé de kanut se vendait 70 centimes.

 

A propos de Brahma Kumaris

Organisation qui se définit comme spirituelle, présente dans toute l’Inde où elle compte environ 1 million d’adeptes. Quelques milliers sont dispersés dans une centaine d’autres pays, principalement issus de la communauté indienne. La pratique de la méditation est au centre de l’enseignement. Le siège de Brahma Kumaris se trouve dans le Rajasthan.

Brahma Kumaris est aussi une ONG affiliée à plusieurs institutions internationales. En Inde, elle s’est lancée dans des actions humanitaires et environnementales, d’éducation et de protections des femmes et des enfants.

 


[1] http://www.findhorn.org/francais/#.UBAmeo5oyJg - ou lire « La petite voix », aux éditions du Souffle d’Or.

[2] http://www.yogickheti.com

[3] Tableau et chiffres extraits d’études menées par les Docteurs S. P. Raut, BSKKV Dalpoli, et des Docteurs Kewalanand et Sunita T. Pandey de Pantnagar.