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CHERCHE LEADER, DÉSESPÉRÉMENT !

« L’agriculture est l’une des activités que peuvent s’approprier un maximum de gens de façon à devenir autonomes. » (Pierre Rabhi)

De la préoccupation à l’inquiétude

Des personnalités de tous les horizons participent à des conférences, se réunissent pour aborder les questions graves de notre époque[1]. Le monde va-t-il vraiment si mal ? Le constat fait aujourd’hui l’unanimité, même s’il nous est difficile d’évaluer précisément l’ampleur de cette certitude, cette évidence. Que nous abordions la question par l’angle de l’environnement, l’alimentation, l’économie, la paix individuelle, sociale ou mondiale, l’emploi, la santé, les relations, l’éducation, la religion, la politique ou la guerre… Nous allons vers les extrêmes de quelque chose. A ce jour, on ne distingue pas encore une réelle volonté de changement à l’horizon, tout juste un début de prise de conscience touchant une infime minorité. Les mouvements apparus pendant les sixties et seventies (plus d’un demi siècle), des  hippies aux marginaux en tous genres, du new age aux méga salons alternatifs, de René Dumont à Eva Joly, du jardin de nos grands-parents aux rayons bio des hypermarchés, des gourous maudits aux coachs labellisés, des utopistes aux intégristes en tous genres, des soixante-huitards aux indignés… L’aventure terrestre part en vrille, tandis que la réponse (ou réaction) indispensable et urgente à cet état global demeure imperceptible.

 

Le désastre environnemental, témoin d’une époque[2]

Il y a deux ans, la cause environnementale s’est installée à la une de l’information, par le matraquage médiatique qui annonçait la fameuse COP15 de Copenhague, la Conférence Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique. Tout le monde en a entendu parler au Nord, presque tout le monde a oublié. On sait ce qu’il en est sorti : rien du tout ! Qui sait où s’est déroulée la COP16 qui a suivi ? A Cancun en 2010. Où se déroulera la COP17 ? A Durban, fin 2011. La COP18 ? A Séoul fin 2012. Tout ça, c’est déjà du passé avant l’heure ! Souvenons-nous : le Sommet de la Terre, Rio de Janeiro, première grande médiatisation de la problématique environnementale. C’était en 1992. En mai 2012, vingt ans plus tard, un nouveau Sommet de la Terre est programmé au Brésil (Rio + 20). Une grand-messe de plus ? Sans une action populaire, citoyenne, forte et surtout massive, pas une seule pièce ne bougera sur l’échiquier de la mondialisation : le roi des banques, la reine de l’économie et de la finance, le fou de l’environnement, le second fou de l’alimentation, la tour de la paix, celle de la santé, les cavaliers de l’éducation et de la religion, les pions de l’emploi et du chômage, ceux des relations, tous resteront sagement à leur place. Parce que les petits ne pensent qu’à préserver le peu qu’ils possèdent aussi longtemps que possible (on les comprend), tandis que les gros craignent de perdre leur acquis de s’être extirpés de la mêlée. Le rationalisme argentier a tué le sens du devoir, la globalisation ne pense qu’à ses droits. Elle ne lâchera rien, perdue dans la contemplation de sa réussite illusoire, de son pouvoir, anxieuse à l’idée de ne plus posséder demain ce qui ne lui appartient pas vraiment aujourd’hui.

 

On trouve pourtant des individualités, des parcours remarquables, des idées qui nourrissent l’espoir que le changement est encore possible, qu’il va se produire. Parce qu’il le faut. La Kenyane Wangari Mathaai était de ces personnalités d’exception (elle nous a quitté le 25 septembre 2011) ; l’Indienne Vandhana Shiva agit pour une cause tout aussi noble, à sa façon (elle qui a vaincu Monsato, le pilleur qui invente des brevets et s’approprie la nature gratuite). Il y en a d’autres, beaucoup d’autres (Mandela, Lula, même Obama nous a fait rêver). En France, il y a ce petit homme pas plus gros qu’un colibri, qui déploie lentement ses ailes sur la société de consommation. Il lui dit : « « Nous sommes tous les locataires d’une sphère planétaire magnifique, que nous n’arrêtons pas de piller, de dégrader… Avons-nous atteint une maturité suffisante pour nous rendre compte qu’il est temps aujourd’hui d’éviter d’en faire un supermarché, un champs de bataille, un casino ? Sommes-nous prêts au changement de la société par le changement de nous-mêmes ? Ce n’est pas moralisateur, mais un fait objectif. » Il s’appelle Pierre Rabhi et sans faire exprès, il est devenu une star malgré lui. Car nous avons besoin d’une étoile, de plusieurs étoiles même, pour inventer l’avenir. Sans ça, attention ! No future, peut-être !

 

Cherche leaders, désespérément ?

Pour apporter une solution à cette problématique désormais plus que globale, on pense à la désobéissance civile d’Henry David Thoreau, cette  action non-violente née pour exprimer l’opposition au gouvernement, quand les élus du peuple prennent des décisions qui vont contre la volonté, contre les intérêts du peuple. Droits de l’homme, indignés ! On se rappelle alors de Gandhi qui suivit les conseils de Tolstoï, et utilisa massivement l’idée de désobéissance civile jusqu’à faire plier et partir l’occupant colonialiste, sans arme et sans combat. S’opposer sans se battre, ne pas participer, sortir du rang. La liberté revient alors à s’approprier des choix différents, utiles, en phase avec les besoins du moment, ceux de l’individu et de la communauté, contradictoires mais non antagonistes vis-à-vis des pouvoirs publics (c’est leur nom). N’est-ce pas cela, le sens de la démocratie ? Reprendre le pouvoir par la non-violence. Les dirigeants trembleront.

 

Pierre Rabhi : « L’humanité est encore prisonnière des fragmentations, des dualités ; en terme général, de psychologie, l’humanité est dans l’antagonisme. On commence par élever les enfants dans la compétitivité ; ensuite, la compétitivité devient un système mondialisé. Tant que l’humanité ne prendra pas en compte que nous sommes sur cette planète pour être solidaires, non pas compétitifs et nous détruire mutuellement, je ne vois ce que l’on peut faire… »

 

Steve Jobs était un vrai leader, il a fait rêver le monde à sa façon, lui aussi. Mais de quel leadership avons-nous besoin aujourd’hui ? Le savons-nous ? Gandhi, encore lui, a négocié avec les chefs d’état dans sa tenue de paysan du Deccan, il a marché sur les routes, reçu des coups, est allé en prison avec le peuple oppressé. Jusqu’au bout, il a refusé cette forme de compromis qui l’aurait ramené dans le jeu de l’autre. Alors, quelle sorte d’engagement inspirera aujourd’hui le citoyen planétaire, pour initier et entraîner le changement qui s’impose à lui, à nous tous ? Car le succès ne s’achète pas à crédit !

 

La vie, l’argent, la faim

De quoi avons-nous peur ? Est-ce de ce changement ? Le résultat ne pourra pas être pire que ce qui nous attend, si nous continuons à faire ce que nous avons toujours fait depuis l’avènement de l’ère industrielle. Le résultat est déjà là, devant nous. Quand serons-nous prêts à renoncer aux illusions ? Le petit homme nous rappelle la vieille légende amérindienne du colibri qui tente d’éteindre l’incendie de forêt avec des gouttes d’eau. Mais le colibri est aussi l’oiseau qui se nourrit des gouttes de nectar nées dans le cœur des fleurs. Quand aurons-nous suffisamment faim pour chercher des nourritures ailleurs, revenir dans notre jardin, nous entourer d’amis, pas de commerçants. « Liberté, égalité, fraternité ». Qui ça ? Où ça ?

 

Pierre Rabhi : « A partir du moment où vous constatez qu’un modèle a mis le lucre comme élément fondamental de l’histoire, vous passez dans un paradigme de la combustion énergétique, je ne sais pas s’il faut appeler cela le pétrolitique. On a une modification de l’histoire qui a été énorme. Pendant des milliers d’années, les gens avaient un rapport direct avec la nature, ils tiraient de la nature ce qu’ils pouvaient en tirer, des choses gratuites… Il faut maintenant une politique où l’on met l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations, une politique morale du partage, pas une politique du profit infini. »

 

Le premier geste consiste à fermer la télévision, la boîte aux illusions (parmi d’autres). Car l’illusion est grande. Elle est partout. Des exemples ? Croire que ce modèle de société peut encore rendre l’homme heureux. Hérésie ! Croire que le changement est impossible. Hérésie ! Croire que les responsables des pénuries, des déséquilibres, du désastre latent, sont ceux qui lui apporteront une solution. Hérésie ! Croire que la planète nourrira ses enfants s’ils la détruisent en utilisant l’agriculture et l’alimentation chimiques. Hérésie ! Croire que cette même chimie est source de jouvence, de santé. Hérésie ! Croire qu’il existe des pays pauvres et des pays riches. Hérésie ! Croire que la croissance fournira du travail pour tous. Hérésie ! Etc. La preuve, le résultat, sont devant nous.

 

Pierre Rabhi : « Resituons les choses : la responsabilité ne revient pas aux affamés qui ont déjà faim, la responsabilité revient à un certain ordre mondial, qui a donné à l’argent la super puissance, et il est odieux de voir que le fric a aujourd’hui plus d’importance que la vie. Cette logique ne peut pas conduire à une solution. On part sur des malentendus. Il faut reprendre toute la sémantique de ce que veut dire économie. Il n’y a rien de plus antiéconomique que ce que l’on appelle économie, basée sur le gaspillage, la dissipation, etc. … Nous vivons dans une espèce de confusion avec la science et la technologie qui ont créé ce paradigme de la combustion énergétique, provoquant une distorsion entre l’Europe, l’Occident, et les autres pays. Et cette modification de la logique est à l’origine de la famine. »

 

Au 21ème siècle, est-ce le nombre de bien nourris qui grandit, ou le nombre d’affamés ? La 5ème édition de l’Index de Paix Globale qui reflète l’état annuel de la planète vis-à-vis de la paix, estime que la croissance de l’état de violence est moins important entre 2010 et 2011, qu’entre les deux années précédentes. La raison principale de ce résultat est la diminution des budgets militaires à cause de la crise économique[3]. Même l’armée entre en crise ! La guerre est en faillite ! Etat d’urgence, il faut agir, vite. Ça va vraiment très mal ! « Aux armes, citoyens ! » L’Index de Paix Globale ne prend pas en compte la santé, ni la faim, ni la pollution, ou encore le nombre d’adeptes de la non-violence. Probablement parce que ça n’a rien à voir.

 

Pierre Rabhi : « Je pense qu’aujourd’hui, ce sont les consciences qui doivent se rassembler pour œuvrer ensemble, en dehors de tous les clivages dans lesquels nous sommes, puisqu’il s’agit d’une problématique humaine et globale. Toutes les consciences qui ont envie de travailler ensemble doivent se rejoindre, il n’y aucun antagonisme. »

 

Ce n’est pas tout. Parti de son jardin avec sa binette et son râteau, la greffe du bon sens citoyen planétaire, de la santé et de l’alimentation naturelles, prend sur le rameau de la société au-delà de toutes les espérances. Alors Pierre Rabhi débarque maintenant avec un troupeau d’hommes et de femmes qui déclarent haut et fort être « Tous Candidats en 2012 », se faisant l’écho d’Achim Steiner (Directeur exécutif du programme environnemental des Nations Unies – UNEP), à Bonn, lors de la conférences des ONG dédiée à l’environnement : c’est le volontariat et les actions citoyennes qui seules pourront aujourd’hui forcer la main des gouvernants, pour qu’ils prennent les décisions qui s’imposent. Un coup à vous flanquer une campagne présidentielle en l’air !

 


[1] Les Rencontres Capitales, Palais du Pharo, Marseille, les 14 eet 15 octobre 2011 - http://www.rencontrescapitales.com/les-intervenants/pierre-rabhi.html Barbara Hendricks, Pierre Rabhi, Marion Guillou, Lionel Fleury, Mathieu Gallet, Carlo Petrini, Nicolas Beytou, Yvon Berland, Alain Geismar, Michel Vauzelle, d’anciens ministres, etc. près d’une centaine de personnalités.

[2] On pourrait prendre pour thème le désastre sanitaire du monde moderne. Après la crise médicamenteuse dont nous sommes les victimes, le terme « iatrogénie » entrera bientôt dans la langue de tous les jours.

[3] L’Index prend en compte 153 nations passées au crible de 23 indicateurs, dont 8 sont pris du15 mars au 15 mars d’années successives.